La Boulangerie Mandelbrot

Entretien avec Ingrid Daubechies

Quel théorème ou concept mathématique vous a-t-il inspiré ?

L’idée de la boulangerie est née car j’ai longtemps été frustrée par le fait que les formes de biscuits intéressantes produisent beaucoup de gâchis.

Lorsqu’on prépare soi-même des biscuits, on étale la pâte et on peut bien sûr la découper en losanges, en carrés ou en rectangles, et c’est ce que l’on fait pour certains biscuits. Mais le plus souvent, vous avez des formes intéressantes que vous découpez à l’emporte-pièce, puis vous avez toute cette pâte qui n’offre plus assez d’espace pour en découper d’autres. Vous la réassemblez donc, l’étalez à nouveau, et puis découpez d’autres biscuits. C’est une perte de temps, mais ce n’est pas le plus grave. Comme la pâte a besoin de plus de farine pour être étalée, à chaque fois que vous la ré-étalez, elle absorbe de la farine et les biscuits deviennent moins fins.

J’ai donc longtemps pensé qu’il serait bon d’avoir des emporte-pièces qui pavent le plan, afin d’éviter le gaspillage. Il y a quelques années, j’ai conçu une forme de biscuit pour la journée de Pi (14 mars) ; j’ai préparé ces biscuits et je les ai trouvés très sympas.

Lorsque j’en ai parlé aux autres membres de l’équipe, ils m’ont répondu que ce serait super ! Nous avons donc une boulangerie, qui doit illustrer un pavage du plan. Et puis les gens ont rajouté : “nous pourrions illustrer d’autres choses ! Nous pourrions avoir un pavage sur le sol, des liens avec des systèmes dynamiques, et avec des groupes de symétrie. . . et c’est de là que tout est parti.

Comment ces concepts sont-ils illustrés dans la boulangerie Mandelbrot ?

Pour illustrer toutes ces idées dans la boulangerie, on a le boulanger, qui est là, en train de travailler, et d’étaler sa pâte pour ensuite paver le plan avec des formes de biscuits. Sa table a également une forme très intéressante : son profil ressemble à un “U” couché sur le côté, ou à un fer à cheval. Cela fait référence à un modèle de la théorie des systèmes dynamiques dans lequel des portions d’espace sont étirées dans une direction et comprimées dans la direction perpendiculaire ; elles sont ensuite repliées sur elles-même et replacées à leur position initiale. L’ensemble de l’opération est parfois appelé “transformation du boulanger”, car elle s’apparente à une opération que l’on effectue lors de la fabrication, par exemple, d’une pâte feuilletée.

Au sol, nous avons un pavage de pentagones non réguliers, créé par Marjorie Rice. C’était une femme au foyer intéressée par les mathématiques, qui a conçu des pavages qui n’avaient pas été découverts jusque là. Sur l’un des murs de la boulangerie, les groupes de symétrie sont illustrés par un papier peint, représentant tous les groupes de papiers peints qui peuvent être tricotés, lui même tricoté par Susan Goldstine. Il y a 17 groupes de papiers peints : 8 d’entre eux ne peuvent pas être tricotés facilement, parce qu’ils ont une symétrie de rotation de 30, 60 ou 90 degrés ; et 9 d’entre eux peuvent être facilement tricotés. ils seront représentés ici.

Quels sont les défis auxquels vous avez été confrontée lors de la création ?

Des défis liés à la conception de la boulangerie … Il y en a eu de nombreux . . .

Premièrement, trouver des idées, mais ce n’était pas vraiment un problème. Le problème était de toutes les intégrer de la bonne manière et que la boulangerie ne devienne pas trop encombrée. Beaucoup, beaucoup d’idées différentes sont représentées, mais beaucoup le sont dans les petits détails de la boulangerie. Certains participants pensaient que la boulangerie allait être trop remplie. Mais tant que nous utilisons des détails qui ne surchargent pas l’espace, il y a de la place pour tout cela, je pense. Il doit s’agir d’une œuvre pour laquelle, même les personnes qui l’ont vue plusieurs fois et qui passent devant tout le temps, disent : “Oh, regardez-moi ça ! Je n’avais jamais vu cela auparavant. Ça, c’est vraiment cool”.

Il y a aussi le défi de la réalisation. Les murs seront en bois, dont une partie sera fraisée et coupée très précisément par Edmund Harris, aidé de Gavin Smith. Gavin n’est pas lui-même membre de l’équipe, mais il est l’un des menuisiers chargés de construire la base de toute la structure, étant donné que nous ne pouvions pas avoir accès au groupe de menuiserie de l’université Duke, à cause de la COVID.

Qui a travaillé avec vous sur la boulangerie Mandelbrot ?

De nombreuses personnes travaillent sur la boulangerie. Bien entendu, tout le monde a participé à nos discussions, et certaines idées ont été émises par des personnes qui ne font pas partie de l’équipe de la boulangerie.

J’ai déjà mentionné Susan Goldstine, qui a eu l’idée du pavage de Marjorie Rice sur le sol, et qui tricote les groupes de papier peint pour un mur en particulier. J’ai également mentionné Edmund Harriss; il ne se contente pas de fabriquer les murs, il dessine également de magnifiques motifs symétriques avec des pentagones et des heptagones, que l’on retrouve sur le mur faisant face au papier peint de la souris. Les motifs comprennent à la fois des pentagones et des heptagones, car ce mur marque une transition entre le Phare (qui utilise l’heptagone comme principe d’organisation) et la Boulangerie (qui utilise le pentagone). Dominique est en train de coudre le pavage de Marjorie Rice pour le sol.

La figurine du boulanger est réalisée par Mary et Liz. Liz, qui est notre céramiste créant de magnifiques animaux, s’ocupe de la tête et des pattes – et Mary s’occupe de tout le costume. D’ailleurs, notre chat s’appelle Arnold. Vladimir Arnold était un célèbre mathématicien russe qui travaillait sur les systèmes dynamiques. Pour illustrer l’étirement et la compression dans les systèmes dynamiques, il a travaillé avec un modèle représentant une figure diagonale de chat, qui est étiré, transforméet découpé en morceaux pour être replacé à sa place initiale : tout le monde l’appelle “le chat d’Arnold”. Après avoir fait le lien avec les systèmes dynamiques, nous savions que notre boulanger serait un chat nommé Arnold. Mary va coudre son nom sur son uniforme. J’espère que les étudiants d’Arnold ne verront pas d’inconvénient à ce que nous soyons un peu irrévérencieux.

Quels sont les autres aspects de Mathemalchemy auxquels vous participez ?

Les autres parties de Mathemalchemy dans lesquelles je suis impliquée sont, dans une certaine mesure, le Phare – j’ai joué un rôle dans la création du Graffiti qui se trouve entre le Phare et la Boulangerie. De même, dans une certaine mesure, pour la Colline Intégrale – J’ai participé à la construction de la colline, avec ses terrasses de Lebesgue et ses falaises de Riemann. Mais j’aime vraiment être impliqué de manière périphérique dans tout ce qui se passe – contrairement à de nombreux membres de l’équipe, je ne suis pas une experte en mathématiques, et je me considère donc un peu comme une apprentie, pour tous ceux qui acceptent que je joue ce rôle.

Qu’est-ce qui vous a surpris en travaillant sur le projet Mathemalchemy ?

Quelles sont les surprises de Mathemalchemy? La plus grande surprise est que cela fonctionne !

Dominique et moi avons eu cette idée fantastique, nous avons emmené son premier petit modèle à la Réunions conjointes des mathématiques, en espérant que les gens seraient intéressés, mais nous n’en étions pas sûrs. Pour les artistes, la création d’une œuvre d’art est généralement une démarche individuelle et personnelle, et nous leur demandions de collaborer d’une manière qu’ils n’avaient jamais expérimentée. QUATORZE personnes se sont inscrites lors des réunions conjointes, puis d’autres ont été recrutées. Nous avons maintenant une équipe de personnes enthousiastes, qui collaborent, qui rient beaucoup – lors de nos réunions, nous faisons toutes sortes de jeux de mots et parlons de ce monde imaginaire – c’est très amusant, et c’est merveilleux. Ça a donc été une grande surprise.

Ça a aussi été d’un grand soutien : nous n’imaginions pas que le COVID nous frapperait, mais je pense que nous avons tous apprécié faire partie de ce groupe de personnes amusantes pendant la période d’isolement.

Leave a Reply