Je pense beaucoup aux nœuds ces jours-ci, et je pense à la complexité de ces nœuds. Mon travail utilise des nœuds, et des nœuds de nœuds. Les créatures marines fantaisistes que je crochète sont une variante des nœuds que l’on appelles les courbes thêta.

créature particulière est connue sous le nom de thêta nœud pentacle.
Des nœuds avec une touche mathématique
Alors que les nœuds, au sens mathématique, sont des boucles entrelacées, les courbes thêta sont des entrelacements d’une forme semblable à la lettre grecque θ. Ces créatures marines ne sont cependant pas seulement nouées dans leur forme apparente, mais aussi dans leur construction. Pour faire un crochet, on utilise un instrument (le crochet) pour emmêler le fil sur lui-même, construisant ainsi des entrelacement dont la complexité augmente à chaque maille réalisée.
Complexe ou nœud
Cette complexité du travail au crochet, comme du tricot, n’est véritablement réalisée que lors d’une dernière étape extraordinaire. Alors que la notion conventionnelle d’un nœud est celle d’une action sur un fil, les nœuds mathématiques sont des boucles fermées. L’artiste du crochet, pendant qu’il travaille, peut faire partie de cette boucle : en prenant la pelote de fil dans une main et la queue de l’œuvre dans l’autre, il devient une boucle fermée qui contient son œuvre. On peut se demander à quel point cette boucle est compliquée.
Il existe plusieurs façons de quantifier la simplicité ou la complexité d’un nœud, mais la plupart de ces mesures considèrent qu’un nœud est équivalent, à la fois en termes d’identité et de complexité, à tout nœud qui peut être obtenu en le transformant via des mouvements de Reidemeister. Chaque point de tricot et de crochet est en fait un mouvement de Reidemeister (surtout les mouvements de type II). Ainsi, lorsqu’un crochet est en cours, tout ce qui est fait, d’un point de vue mathématique, n’ajoute aucune complexité. L’ouvrage à mi-construction est toujours équivalent à une boucle fermée, sans aucun nœud, ce qu’on appelle en mathématiques le non-nœud.

Du trivial à l’extraordinaire
Les tricoteurs et les crocheteurs ne sont que trop conscients de la trivialité sous-jacente de leur travail. Un mopuvement brusque sur un ouvrage au crochet, ou une maille oubliée au tricot, obligera l’ouvrage à se défaire de lui-même. Seulement lors de la dernière étape, ces ouvrages passent soudain, au sens mathématique du terme, du trivial à l’extraordinaire. Lorsque le fil est coupé et que son extrémité libre est passée dans la dernière maille, le nœud que formaient le crochet et le corps de l’artisan n’est plus trivial. Ainsi, ses nombreux entrelacements ne peuvent plus être défaits par des mouvements de Reidemeister. Selon une certaine norme de mesure, l’ouvrage est encore très simple. Le nombre de dénouage est le nombre de fois que le fil devrait être croisé sur lui-même pour que le noeud redevienne trivial, et son nombre de dénouage n’est que de 1. Mais selon presque toutes les autres normes, même un simple ouvrage crocheté ou tricoté est un nœud d’une énorme complexité.
L’énorme complexité de ce qui est apparemment trivial est également connue des artisans du crochet, sous la forme d’un phénomène différent, appelé en anglais le “yarn barf” (vomis de fil). Cela se produit lorsqu’une pelote libère brusquement un amas inextricable de fil emmêlé à l’extrémité du crochet. En raison de la façon dont les pelotes sont enroulées, cet entrelacement est toujours trivial au sens mathématique, en ce sens qu’il peut être complètement dénoué sans avoir à le croiser avec la pelote ou le crochet. Une banalité théorique n’est cependant d’aucune aide pour l’artisan qui veut savoir comment remettre le fil en place!
Les algorithmes des nœuds
La question de savoir comment démêler des fils entrelacés, ou même comment reconnaître, sans aide extérieur (comme c’est le cas dans les pelotes), si un fil peut être démêlé, relève du domaine des algorithmes. Ce problème algorithmique particulier du “dénouage” n’est pas très bien connu. Sur l’échelle de difficulté des problèmes algorithmiques, le dénouage n’est que très vaguement placé : il existe une famille de problèmes algorithmiquement faciles appelée “P”, une famille de problèmes vérifiables mais apparemment difficiles appelée “NP-complet”, et une catégorie plus large contenant à la fois P et NP-complet, connu sous le nom de “NP”. On sait seulement que le problème du dénouage appartient à NP, ce qui ne nous apprend pas grand-chose.
Au fur et à mesure que les mailles s’accumulent sur une œuvre, ces idées de complexité et de trivialité sont toujours présentes. Un crochet, même s’il gagne une apparente complexité, est une trivialité qui menace constamment de se défaire, alors que la complexité apparente des “yarn barf” résiste obstinément à être exposée comme triviale. Même la question de savoir ce qui est trivial et comment nous pouvons le montrer s’avère être, finalement, une question très compliquée.