Jeu Premier lors d’un Jour Premier 3/11/43×473et 11 sont premiers, et bien que l’année ne soit pas un nombre premier, 2021  est le produit de deux nombres premiers consécutifs.

Lorsque Dominique m’a montré un modèle en 3D du projet de Mathemalchemy pour les JMM 2020, j’ai sauté sur l’occasion de tisser des liens entre les histoires, les mathématiques et l’art. Une année de pandémie plus tard, cette collaboration a été pour moi une source de lumière pendant de nombreuses heures sombres.

La conception et l’exploration des vignettes de l’installation (et la création finale sera épique !), étaient riche en créations, apprentissages et jeux. Ce qui incarnent toute les raisons qui me poussent à consacrer une grande partie de mon temps aux mathématiques, à la recherche et à l’enseignement. La vignette “Tamias triant des nombres premiers” exprime d’une certaine manière mon parcours en mathématiques. Je suis passé d’une acceptation aveugle des faits – voici une formule, appliquez-la et ça marchera – à la compréhension des mathématiques comme une réalisation humaine dont nous pouvons créer les règles et observer leur évolution. Pour moi, les mathématiques étaient froids et austère et sont devenus exubérants et souples (je suis topologue). Ce message est véhiculé dans l’évolution de l’histoire des Tamias triant des Nombres Premiers. Bonne lecture !

Vignette des Tamias triant des Nombres Premiers

Scène de tri des nombres premiers par les Tamia sur la maquette de Dominique Ehrmann
Photo de la maquette de Dominique.

Dans notre monde fantastique et joyeux de Mathemalchemy, nichés dans un recoin douillet sous les grandes feuilles de représentations mathématiques sophistiquées, nos jeunes tamias s’amusent à trier les nombres premiers sur une grille/du papier graphique/du papyrus (nous n’en sommes encore qu’au prototype), en utilisant des glands pour compter les facteurs, des tablettes d’argile avec des chiffres cunéiformes babyloniens à la main.

L’exploration des nombres premiers est un thème fondamental dans notre jardin (voir les articles de Li-Mei et de Samantha), parmi d’autres thèmes tout aussi profonds tels que les plans hyperboliques et les fractales. Le Tamias triant des Nombres Premiers est le début de l’exploration. C’est pourquoi nous voulons que l’histoire soit ludique, où nos jeunes personnages construisent une base solide pour progresser en mathématique, tout en conservant leur enthousiasme et vôtre, en tant que spectateur. Déterminer si un nombre entier positif est premier ou non en énumérant ses diviseurs premiers, est une activité mathématique précoce à laquelle s’adonnent de jeunes élèves.

Chapitre 1

Souris en mission

Première proposition de maquette - les souris trient les nombres premiers
Image : d’après la maquette de la proposition initiale présentée au JMM2020.

Dans cette représentation de la scène, les jeunes élèves sont des souris qui dessinent des grilles rectangulaires en dessinant des glands dans les carreaux pour déterminer les facteurs premiers de 12 et 13 respectivement. Lorsque un facteur premier est trouvé, la feuille correspondante reçoit un V vert. Lorsque le nombre n’est pas un facteur, le résidu est entouré en rouge et la feuille reçoit un X rouge. La souris qui a le 12 sourit, mais l’autre moins chanceuse verse une larme.

Quel message voyez-vous ? Quels messages les souris retiennent-elles ? Quelle est la leçon ici?

Lors de nos discussions de groupe, nous avons adoré les glands et l’exercice consistant à déterminer si un nombre est premier, mais nous avons estimé qu’il y avait quelques messages à affiner :

  • Trouver un nombre premier devait être une source de fierté, pas de larmes.
  • L’opposition entre x et rappellait l’anxiété liée à l’enseignement des mathématiques.
  • Les jeunes élèves devaient participer à des jeux physiques avec des objets tangibles tridimensionnels.
  • Parmi les plus anciennes explorations mathématiques on compte le dénombrement et la factorisation: en tant que passionné d’histoire des mathématiques, le récit devait avoir un contexte historique.

Après avoir discuté et affiné notre message, Bronna a brillamment esquissé une représentation actualisée:

Croquis des Chipmunks triant les nombres premiers
Dessin de Bronna Butler.

Prise 2

De joyeux tamias entrent en scène

Nous avons transformé nos souris en tamias, parce qu’ils sont adorables et que nous voulions une plus grande diversité de créatures. Nous nous sommes séparés des tableaux rectangulaires dessiné sur des feuilles verticales. A cela nous avons préféré une marelle au sol et des glands en 3D.

L’angle de vue est finalement plus adaptée aux visiteurs. Les écureuils tiennent des tablettes d’argile avec des chiffres cunéiformes babyloniens, un hommage à l’invention des chiffres, il y a plus de quatre mille ans. Les chiffres indo-arabes 12 et 13 ne sont devenus omniprésents qu’à partir du XVIIe siècle, et nous voulions quelque chose qui remonte plus loin dans le temps. Les tablettes triées ont été placées dans des paniers heptagonaux, motif apparaissent dans de nombreux endroits de l’installation (combien en trouvez-vous ?). Nous avons remplacé x et par une tuile surlignée en jaune pour accentuer les résidus non triviaux. Plus important encore, notre tamia 13 se tient debout, fier d’avoir démontré que 13 est un nombre premier ! Découvrez nos adorables et euphoriques tamias créés par Liz.

Chiffres cunéiformes babyloniens
Chiffres cunéiformes babyloniens. Image : domaine public, via sugarfish et Wikimedia Commons.
Authentique tablette d'argile cunéiforme de Babylone
Plimpton 322 une tablette d’argile cunéiforme babylonienne. Image : prise au RBML à l’Université Columbia lors d’une projection privée pour mes étudiants.
Sculpture en argile des tamias triant les nombres premiers babyloniens
Les Tamias fiers. Image : Liz Paley
Tuiles de Babylone en terre cuite en cours de fabrication pour le jardin
Les tablettes cunéiformes. Image : Liz Paley

Lorsqu’elle m’a envoyé cette photo, Liz a écrit :

“13 est heureux d’avoir trouvé une tuile de nombres premiers, et 12 est heureux de savoir que 12 vient avant 13.

Liz paley

Quel message voyez-vous ? Quels messages les tamias emportent-ils ? Quel est l’apprentissage en cours ?

Changer les règles… ou pas ?

Maintenant que nous avons transformé la scène en jeu pour les tamias, nous devons définir ses règles.

Les tamias ont des outils limités. Ils possèdent des tablettes cunéiformes qu’ils semblent pouvoir comprendre. Ils ont des glands pour compter les facteurs des nombres représentés sur les tablettes. Ils ont un niveau d’abstraction : ils comprennent la correspondance entre un nombre d’éléments et sa représentation numérique. Ils disposent d’une grille pour s’organiser (Tasha et Dominique ont réalisé des prototypes géniaux ; ma tentative à partir de papyrus et d’encre n’a pas été couronnée de succès). Dans cette interprétation simple de la scène, les règles du jeu sont simples : choisir une tablette cunéiforme et démontrer par la force brute si le nombre est premier ou composé, c’est à dire en dénombrant tous les cas possibles.

Mais que se passe-t-il si nous discutons avec les tamias et modifions les règles du jeu ? Et si nous leur apprenons ou s’ils découvrent le test de primalité : si p n’a aucun diviseur \leq \sqrt{p} autre que 1, alors p est un nombre premier ? Et si nous leur enseignions la propriété commutative : a \times b=b \times a? Que se passe-t-il alors ? En leur donnant plus de connaissances, nous changeons inévitablement les règles du jeu.

En donnant à nos tamias des connaissances, nous leur donnons les moyens de gagner. Ils peuvent accomplir leur tâche en moins de temps et d’efforts. En même temps, leur donner plus de connaissances les expose inévitablement à une perte d’innocence. Leur suffisance de chérubin dans leur capacité à compter les glands jusqu’à la solution est interrompue. Ils peuvent désormais arriver à la même conclusion avec moins de la moitié des plaques de glands. Leur jeu est raccourci.

Mais de l’autre côté de leur perte d’innocence, il y a le monde fantastique du jeu humain. Dans l’esprit humain, l’abstraction nous déconnecte de la réalité des tamias, mais nous donne également accès à un terrain de jeu aux dimensions infinies. Avec nos règles, les tamias n’ont pas besoin de s’arrêter lorsque leurs boites heptagonales de nombres entiers sont épuisées. Leur jeu peut se poursuivre jusqu’à ce qu’ils veuillent passer à autre chose.

D’une certaine manière, ces tamias nous regardent, nous, leurs créateurs, avec le frisson de la plaisanterie ironique. Ils nous disent qu’aussi fantaisiste que soit notre univers théorique, la satisfaction de leur jeu n’est pas perdue. Quel que soit le degré de sophistication de nos mathématiques, nous apprécions toujours de manière innée résoudre des problèmes en comptant des objets physiques. Les nombres premiers sont les éléments constitutifs des nombres entiers positifs, tout comme le jeu est à la base des mathématiques, même s’il peut devenir formel et abstrait.

Publié par Rochy Flint

Rochy is a mathematician and lifetime learner. She is also the proud mom of six awesome children. Her research areas include geometric topology, the intersection of women and mathematics, and student-centered learning models. She has been a mathematics educator for 20+ years. Rochy is a lecturer at Teachers College, Columbia University. She earned a B.S. in mathematics from Columbia University, and a Ph.D. in mathematics from The Graduate Center in the City University of New York. She is the founder of MathChavrusa and is passionate about mathematics outreach and multicultural MathSpaces.

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