Donnez des symétries à une souris

Pour l’amour de la symétrie : les arts du tissus

Permettez-moi de commencer, de manière quelque peu circulaire, en me citant moi-même :

“J’aime la symétrie. Ou, pour être plus précis, j’aime les symétries.

Vous voyez, je suis une mathématicienne, et les mathématiciens identifient partout des motifs. Nous ne pouvons pas nous en empêcher. Nous ne nous contentons pas d’admirer les objets symétriques, nous nous demandons de quelle manière ils sont symétriques. Symétrique par réflexion d’un miroir, comme un visage ? Symétrique par rotation, comme un moulin à vent? Symétrique par translation (mouvement en ligne droite), comme une rangée de petits soldats ? Symétrique par une réflexion translatée, comme des empreintes de pas dans le sable ?”

Écharpe cristalline tricotée avec des symétries, par Susan Goldstine
Écharpe cristalline par Susan Goldstine, 2016.

Ce texte est le début d’un exercice d’introduction aux mathématiques avancées pour un large publique : le motif de l’écharpe Crystalline, publié dans le magazine de tricot en ligne Knitty . (Le motif est disponible gratuitement pour les tricoteurs intéressés). Ces dernières années, j’ai été de plus en plus attirée par la représentation de structures symétriques dans les divers arts du tissu: le tricot, la broderie, le perlage, etc. Les mathématiques qui s’y cachent sont fascinantes et interagissent souvent de manière subtile avec chaque production. De plus, il est toujours agréable de pouvoir prouver une proposition mathématique à l’aide d’une écharpe.

Générer des symétries

Rouleau de frise fondamental II

Pour mieux comprendre les différentes symétries, examinons un tricot récent, la tenture murale en dentelle perlée Rouleau de frise fondamental II, illustrée et schématisée ici.

Rouleau de frise fondamental II par Susan Goldstine, 2018.

Je l’ai conçu pour mieux expliquer les motifs de symétrie, en utilisant des points et des lignes perlés pour marquer les symétries dans les sept motifs de dentelle. Chaque motif possède une symétrie de translation, c’est-à-dire qu’il se répète à l’infini dans une direction. Les autres symétries sont appliquées au motif qui se répète à l’infini, s’échappant du rouleau et continuant jusqu’à l’infini. Les mathématiciens appellent ces dessins des motifs de frise et cataloguent chaque structure de symétrie possible comme un groupe de frise. Les lignes blanches marquent les axes de réflexion: si vous reflétez le motif à travers une ligne blanche, la forme du dessin reste inchangée. Les lignes jaunes marquent les axes de réflexion translatée: ici, un miroir placé de part et d’autre de la ligne déplace le motif. Si vous déplacez (translatez) la réflexion légèrement le long de l’axe jaune, vous retrouvez le motif original. À chaque perle bleue, une rotation d’un demi-tour autour de la perle permet de préserver le dessin.

Nous savons depuis longtemps qu’il existe exactement sept structures de symétrie différentes pour un motif de frise, ce sont les sept groupes de frise. Rouleau de frise fondamental II est un échantillon complet des symétries : il contient un dessin pour chaque groupe de symétrie. Dans le même temps, l’écharpe Cristalline représente certains groupes de papiers peints étroitement liés, qui décrivent les symétries des motifs qui se répètent dans deux directions indépendantes. Ils remplissent le plan comme si quelqu’un disposant d’un temps illimité tapissait une pièce infini. Il existe dix-sept groupes de papiers peints, mais seuls neuf d’entre eux peuvent s’inscrivent dans la grille rectangulaire du tricot. Ces neuf groupes sont donc représentés dans Cristalline.

Le Rouleau de frise fondamental II utilise une méthode très particulière pour construire les différents types de symétrie. Pour l’écharpe, j’ai réaliser les groupes de papiers peints de manière ad hoc, profitant des symétries naturelles des cœurs (réflexion), des vignes (réflexion translatée) et des volutes (rotation). Mais comme vous pouvez le voir dans le diagramme, chaque dessin de la frise est construit à partir du même motif de dentelle asymétrique. Les symétries sont formées en appliquant les transformations que nous voulons à ce motif. Il s’agit d’une technique très puissante, qui fonctionne avec n’importe quel motif ne présentant aucune symétrie interne.

Symétries de la souris

Lors des premières étapes de Mathemalchemy, lorsque Dominique et Ingrid ont lancé leur appel pour des histoires à intégrer dans l’installation, j’ai immédiatement pensé qu’il serait amusant de créer une chasse au trésor, en dispersant différentes symétries d’un même motif à travers l’exposition.

J’ai commencé à dessiner différents motifs sur mon ordinateur, mais je n’arrivais pas à trouver un motif géométrique qui soit facile à repérer, qui fonctionne avec différents angles de rotation et qui donne des dessins esthétiques. Et puis j’ai eu une idée : et si, au lieu d’utiliser des formes abstraites, je créais une forme reconnaissable ? Notre imagination collective était déjà en ébullition, et nous pension à diverses créatures des bois. Qu’en est-il des souris ?

Une première esquisse des motifs possibles de la souris.
Plan du tricot recouvrant le mur de la boulangerie, avec les symétries de la souris
Plan du tricot du mur de la boulangerie.

Tandis que l’équipe de Mathémalchemy traçait les contours de notre royaume imaginaire, les souris convergeaient vers la source de nourriture centrale, la boulangerie. J’étais naturellement intéressée par la fabrication des motifs qui pouvaient être tricotés, et j’ai donc conçu un papier peint en forme de souris (!) pour le mur du côté de la boulangerie. Comme vous pouvez le voir dans le tableau ici, il y a neuf motifs sur le mur, correspondant aux mêmes neuf groupes que dans Cristalline. Le mur se tricote très lentement sur des aiguilles extrêmement petites ; à titre indicatif, le temps de tricotage est d’environ une heure par souris.

Il y a trois autres groupes de papiers peints qui ne tiennent pas tout à fait sur le mur parce que les mailles ne sont pas carrés. Cependant, la broderie au point compté utilise une grille carrée, et notre équipe compte plusieurs experts en tricots. Avec l’avancée du plan du quartier de la boulangerie, nous avons décidé que la galerie d’art nécessitait des tapis décoratifs à son l’extérieur. Mary William et moi-même avons adapté le dessin de la souris au point compté, et Mary, Ingrid Daubechies et Kathy Peterson se sont mises à les coudre. Si vous examinez chaque dessin, vous devriez repérer des symétries de rotation à 90° qui exploitent les propriétés carrées des mailles.

Entre le mur et les tapis, nous avons comptabilisé douze des dix-sept groupes de papiers peints. Les cinq groupes restants s’inscrivent dans une grille hexagonale, une géométrie souvent présente dans les courtepointes. En me basant sur les croquis de Mary de différents motifs de souris en forme de triangle, de losange et de cerf-volant, j’ai élaboré le modèle présenté ici. Nous avons imprimé cette image sur du tissu, puis Mary l’a cousue minutieusement pour en faire une courtepointe. Ces motifs de papier peint se distinguent par des symétries de rotation de 60° et/ou de 120°.

Modèle de la courtepointe des souris que Mary William a cousu, pour la galerie d’art et de curiosités.

D’autres souris espiègles se promèneront dans l’installation, mais pour cela, il faudra être attentif !

Tricotage du papier peint des souris en cours de réalisation, par Susan Goldstine.
Réalisée en fil Shibui Cima en alpaga/mérinos sur des aiguilles de 1,5 mm, avec des perles de verre pour les yeux.

Publié par Susan Goldstine

Susan Goldstine received her A.B. in Mathematics and French from Amherst College and her Ph.D. in Mathematics from Harvard University. For the past decade, her artworks have appeared in mathematical art exhibits across the US and around the world. The 2014 book Crafting Conundrums: Puzzles and Patterns for the Bead Crochet Artist, which she cowrote with Dr. Ellie Baker, collects their extensive research on the mathematics of bead crochet. Susan is Professor of Mathematics at St. Mary’s College of Maryland, where she has been on the faculty since 2004, a member of the Bridges Organization Board of Directors, and an Associate Editor for the Journal of Mathematics and the Arts. Her guiding principle is that a professor’s office can never have too many toys.

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